La Femme qui a Raison occupe une place à part dans la production dramatique de Voltaire, habituellement destinée à la Comédie française, dont il était devenu l'un des fournisseurs attitrés. C'est qu'elle a été écrite à usage privé, en l'occurrence pour le théâtre du roi Stanislas à Lunéville, et non pour donner lieu à des représentations publiques. Ce qui explique en partie sa liberté de ton.


Elle ressortit donc de ce qu'il est convenu d'appeler le "théâtre de société" où Jacques Truchet n'hésite pas à voir "le secteur le plus vivant et le plus moderne de la vie théâtrale" au XVIIIe siècle. Pour les innombrables théâtres privés, en ce siècle véritablement pris de théâtromanie, "des centaines de pièces furent écrites spécialement, continue Jacques Truchet, dans un style souvent très différent de celui du théâtre officiel" (c'est-à-dire souvent léger, voire gaulois...) et "c'est en fin de compte ce théâtre de sociét:é, où il ne faut pas oublier que Beaumarchais fit ses premières armes, qui entretint au XVIIIe siècle - de concert avec le théâtre forain avec lequel il avait souvent partie liée - le sens le plus sûr du rythme et du dialogue dramatique". Là Femme qui a Raison en est la parfaite illustration.


Elle a été écrite vraisemblablement en 1748, en tout cas lors du long séjour (1748-1749) que Voltaire, chassé de Versailles pour cause de mauvais esprit, fit à Lunéville. l'édition de Kehl des euvres complètes de Voltaire la donne de 1749 en précisant que «cette petite comédie est un impromptu de société, où plusieurs personnes mirent la main. Elle fit partie d'une fête qu'on donna au roi Stanislas duc de Lorraine en 1749».


La fonction première de ce type de pièce est avant tout, on l'aura compris, de s'amuser et d'amuser. Et Là Femme qui a Raison ne déroge pas à la règle. «On sent que Voltaire et ses collaborateurs, dit toujours Jacques Truchet dans sa notice sur la pièce, s'amusèrent les premiers à l'écrire, et peut-être à la jouer. La donnée même est très drôle: un homme austére qui, revenant chez lui après de longues années d'absence, trouve au petit matin sa maison pleine de gens qui vont et viennent et se déclarent tous sur le point d'aller se coucher, sans qu'il puisse comprendre au juste à qui il a affaire, ni de quelles infortunes il se trouve exactement victime... L'on aurait hésité à risquer à la Comédie Française la gauloiserie, d'ailleurs modérée, de quelques répliques, ou la désinvolture du ton qu'affectent parfois les jeunes gens. Tout cela est fort plaisant, alerte, bien enlevé, et la fin, qui comportera reconnaissances et appels aux bons sentiments sera traitée d'une manière parodique, non sans ironiser sur cette "voix du sang" dont Voltaire lui-même avait fait ailleurs un si grand usage».


Mais Voltaire ne serait pas Voltaire s'il ne glissait pas aussi un "message" dans sa comédie. Message bien léger en l'espèce, puisqu'il reprend ici la défense et illustration de l'épicurisme qu'il avait entrepris 12 ans plus tôt dans son célèbre et provocant Mondain qui fit scandale en son temps. Avec la même verve et la même impertinence, il fait de nouveau la nique aux "tristes frondeurs" (ici Monsieur Duru et son compère Gripon) et entreprend, par la bouche de Madame Duru, Là Femme qui a Raison, un ardent plaidoyer en faveur du luxe, du plaisir et du bonheur, à une époque où la tendance générale - Rousseau pointe son nez est plutôt à la critique de la vie mondaine et à l'apologie du retour à la nature. Débat, on le voit toujours d'actualité et qui résonne ici de façon étonnamment moderne.


Mais le plus moderne, dans~la pièce, ce n'est pas cela, c'est le personnage de Madame Duru, magnifique portrait de femme, de femme "libérée", dirions-nous aujourd'hui: qui a élevé seule ses enfants, qui gère seule son patrimoine, qui mène la vie qu'elle a choisie et qui règle ses comptes avec son mari et à travers lui avec les hommes et la société de son temps (difficile de ne pas voir ici la patte d'Emilie du Châtelet, femme de tête et femme libre s'il en est...). Son discours prend dès lors pour nous une couleur très "féministe" avant la lettre, ce qui n'est

pas le moindre intérêt de cette étonnante petite pièce.

LA FEMME QUI A RAISON

Comédie de VOLTAIRE

Mise en scène

Daniel BENOIT

Assitante

Emilie KATONA

avec

par ordre alphabétique

Evelyne BORK

Pascal FABER

Bruno FREYSSINET

Alain GUNTHER

Sylvie OLLIVIER

Emmanuelle SALARD-DESCHANDOL

André WIDMER

Décors, costumes et affiche

Louis TAULELLE

Lumières

Thibault LEBLANC

Cette création a bénéficié du soutien du Ministère de la Cukture et de la Francophonie, dela DRAC Lorraine, du Conseil général de Meurthe-et-Moselle, des villes de Nancy et de Lunéville et de la Commission Rectorale d’Action Culturelle.

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